Un million de personnes seraient inaptes à la conduite Personnes âgées invalides, malades souffrant d'insuffisances cardiaques, de problèmes de vue ou encore utilisateurs de psychotropesfigurent parmi les conducteurs qui mettraient en danger la vie d'autrui.
Le Conseil national de l'ordre des médecins réfléchit à la façon d'informer sans violer pour autant le secret médical.
Il est malade, prend un traitement incompatible avec la conduite automobile et se rend régulièrement chez son médecin… en voiture ! Des cas comme ceux-là, les praticiens en voient défiler des centaines dans leur cabinet. Des personnes âgées invalides, d'autres qui n'ont plus que 3/10es à chaque œil ou sont en insuffisance cardiaque majeure, d'autres encore qui prennent des psychotropes à haute dose ou qui affectionnent trop la bouteille… Tous ceux-là ne devraient plus toucher une voiture tant ils mettent en danger la vie des autres. Avec le plus grand mutisme des médecins.
Or, ce secret médical qui les oblige à garder le silence pèse de plus en plus à ces praticiens conscients qu'avec le vieillissement de la population, le nombre d'inaptes à la conduite ne fera que croître. Mais terrible dilemme : ils savent aussi que rompre le silence, c'est rompre le rapport de confiance avec les patients. «Si on avait le droit de signaler les personnes qui prennent le volant alors que c'est contre-indiqué, certains patients dissimuleraient leur état de santé», confie le Dr André Deseur, vice-président de la section exercice professionnel au Conseil national de l'ordre des médecins. Cette institution, qui veut préserver ces liens confidentiels, travaille à l'heure actuelle sur le moyen de faire néanmoins remonter les informations au sujet d'un patient dangereux. Véritable travail d'équilibriste : il s'agit d'informer sans violer le secret et cela passerait par une procédure nouvelle, qui devrait être présentée en début d'année à la session plénière de l'Ordre. En cas de validation, elle sera soumise ensuite aux pouvoirs publics.
L'intervention du préfet Concrètement, le patient remplirait un questionnaire médical évoquant les maladies et les traitements qu'il adresserait ensuite à son médecin. Ce dernier déciderait de l'envoyer ou non en consultation auprès d'un collège de médecins dans les préfectures, lesquelles se prononceraient sur l'aptitude ou non à la conduite. «Le secret médical serait ainsi protégé», estime André Deseur précisant qu'en cas de fausse déclaration du patient, les conséquences seraient lourdes. «Sur le plan pénal et du côté des assurances en cas d'accident», souligne-t-il, en rappelant qu'il y a deux années, l'Ordre, en partenariat avec l'Académie nationale de médecine, avait tenté d'élaborer une procédure. Un projet qui avait achoppé faute d'accord. Car du côté de l'Académie, une autre piste avait été explorée : celle d'une entorse à la violation du secret médical.
«A-t-on le droit de laisser quelqu'un mettre en jeu la vie d'autrui ?», interroge le Pr Henry Hamard, membre de l'Académie, qui avait travaillé sur ce protocole commun et espère que les pouvoirs publics se pencheront sur ce délicat sujet. «Les spécialistes estiment à un million le nombre de personnes qui ne devraient pas conduire en raison de leur état de santé», dit-il. «En matière de persuasion, le médecin a un rôle important à jouer. Mais encore faut-il qu'il soit bien informé et sensibilisé au sujet, ce qui est loin d'être le cas», explique de son côté le Dr Charles Mercier-Guyon, secrétaire du Conseil médical à la Prévention routière. La famille peut aussi faire barrage. «Avec mon frère, on a été obligé de confisquer les clés de son véhicule à notre père âgé de90 ans et invalide. Ce fut un déchirement pour nous et un drame pour lui», raconte un père de famille. Mais si les proches échouent, il leur reste la possibilité de recourir à une procédure rarement utilisée. Ils peuvent informer le préfet qui, après avis de la commission médicale départementale, décide du sort du conducteur.
Le gouvernement ne semble pas encore enclin à faire ce qui se fait à l'étranger, comme l'a rappelé le secrétaire d'État aux Transports, Dominique Bussereau, interrogé sur le sujet par le sénateur, Michel Houel. Pour lui, si des examens médicaux devaient être mis en place, ils concerneraient tous les usagers. Sans distinction. «L'inaptitude à la conduite dépend davantage de l'état de santé du conducteur que de son âge», estime Bussereau. «Mais qui paiera alors ces contrôles ?», s'interroge le Pr Henry Hamard, membre de l'Académie de médecine, qui évalue à 28 euros le coût de chaque examen.